Propos recueillis
en août 2005
SITE OFFICIEL :
www.generation-extreme.com

ÉDITEUR :
www.camionblanc.com
Par Christophe Labussière  
Photo Philippe Carly  

Collaborateur à Prémonition depuis 1991, la passion de Frédéric Thébault pour la musique s'est toujours manifestée par une soif insatiable de tout connaître et de tout faire connaître, sans retenue et sans se borner aux étiquettes musicales ou aux a priori.
"Génération Extrême 1975-1982 : du punk à la cold-wave" sort ces jours-ci et s'attache à raconter ces musiques passionnantes et ces années vertigineuses pour lesquelles il a toujours su s'enthousiasmer.

Quel est le premier disque qui t'a amené à te passionner pour ces musiques ?

Mon premier 45 tours, c'est Visage, Fade to Grey, je l'ai acheté à Carrefour, mais j'étais parti pour acheter Planet Earth de Duran Duran, qui n'y était plus ! Quant à mon premier album, c'est un best of de Simon & Garfunkel... Non, ce n'est pas un disque en particulier qui m'a amené à me passionner pour tout ça, plutôt une succession de morceaux épars. Au début, j'écoutais un peu n'importe quoi, ce qui passait à la radio, des trucs qu'on me prêtait, j'aimais bien Police, Mike Oldfield, Tangerine Dream, AC-DC... Mais j'ai le souvenir de quelques chocs très importants : I Travel de Simple Minds, en 80, me fascinait, ce morceau avait un truc bien à part que je ne comprenais pas, quelque chose de différent. Et aussi Rescue de Echo & the Bunnymen, la même année, Planet Claire des B 52's, Cherchez le garçon de Taxi-Girl, ou encore Happy House de Siouxsie & the Banshees. Il y a eu aussi un peu après le générique des Enfants du Rock, c'était New Order, Confusion, mais je ne le savais pas, je l'avais enregistré sur la télé, je l'écoutais en boucle. Plus tard, quand j'ai pu définir le style de musique que j'aimais, j'ai essayé de rattraper le temps perdu avec ce que je ne connaissais pas, des groupes mentionnés dans les magazines, dont j'avais souvent entendu parler sans les écouter. Parmi eux il y en avait un récurrent : Joy Division. Un jour, un copain m'avait prêté une compilation sur cassette de plein de groupes, sans aucun titre. Arrive un morceau qui me met une vraie claque, qui me laisse complètement estomaqué. J'ai dû m'asseoir pour me remettre de mes émotions ! Je me suis dit : "Et si c'était ça, Joy Division, tellement c'est puissant ?". J'ai bien écouté les paroles, j'ai reconnu Love Will Tear Us Apart, et comme j'avais déjà lu le nom de ce single quelque part, j'ai compris que je ne m'étais pas trompé.

Est-ce que rencontrer des groupes et des artistes dans le cadre de ton activité de journaliste t'a donné envie de raconter toi-même leurs histoires ?
Non, ça serait même le contraire. Ces rencontres m'ont fait perdre toute ma naïveté sur la "magie" du rock. En face de moi, j'avais des gens horriblement banals, ils étaient comme moi. Hormis quelques exceptions, j'ai pris conscience que la création d'un disque dépasse ses auteurs, d'ailleurs la plupart du temps ils sont bien incapables de te dire pourquoi ils ont fait tel ou tel morceau. ils l'ont fait, c'est tout. J'ai joué dans quelques groupes, et je confirme : les musiciens sont des gens d'une banalité affligeante.

Quelle est l’interview qui t'a le plus marqué ?
Plusieurs, pas pour les mêmes raisons : Nirvana, parce que c'était la première, et pas n'importe laquelle, Blixa Bargeld, parce qu'il était là avec son demi-sourire, cigare au bec et verre de cognac, plein d'humour, en costard noir, impressionnant ; New Order, parce que c'était comme un rêve d'enfant, Sonic Youth parce qu'ils mesuraient tous deux mètres.

Pourquoi ne pas avoir opté pour un recueil d'interviews, ou tout au moins insérer des extraits de ces interviews, plutôt que de choisir la narration ?
Je voulais raconter une histoire, faire revivre une époque. Et pour rejoindre ce que je viens de dire, les disques parlent d'eux-mêmes, ainsi que les paroles des chansons ; j'ai mis quelques citations qui me semblaient représentatives. De toute façon mettre des interviews ne m'aurait pas permis d'évoquer autant de groupes, et puis ça aurait été des interviews faites par d'autres, ça n'aurait pas été très structuré dans la continuité du livre... bref, ça n'aurait pas été le même bouquin du tout, je laisse la place à ceux qui veulent en faire un de cette façon !

Ce n'est pas une époque que tu as vécue, qu'est-ce qui te permet d'en parler ?
Tu te trompes, je l'ai vécue ! Pas en entier certes, j'ai commencé à écouter du rock à l'âge de 13 ans à peu près, en 79 -et oui je suis vieux !-, et si je n'ai pas connu le mouvement punk j'ai bien connu tout ce qui a suivi. Mais quand bien même je ne l'aurais pas connu, demanderais-tu à un historien de quel droit il parle de Napoléon ou de Jeanne d'Arc alors qu'il n'était pas né quand ils vivaient ? Comme le dit Rob Gretton, dans la citation que j'ai reprise au début du livre, je crois qu'on a plus de distance une fois que les choses sont terminées. On analyse beaucoup mieux le mouvement punk aujourd'hui que le renouveau post-punk de ces derniers mois, et c'est normal puisqu'on est dedans. On n'a pas assez de recul pour bien cerner tout ce qui se passe, pour dire que The Bravery ou Maxïmo Park seront les stars de demain. De ça j'en parlerai en 2020.

Est-ce que tu as nourri ton livre d'anecdotes que t'ont racontées les personnes que tu as rencontrées à l'occasion de ces interviews ?
Parfois. Mais je n'en ai pas rencontré beaucoup tu sais. J'ai pioché à droite à gauche, dans les émissions télé enregistrées depuis des lustres, dans des anciennes interviews de "Best" ou "Rock'n'Folk", du "NME", dans des chroniques de disques, sur Internet, partout. J'ai fait du sampling journalistique.

Pourquoi avoir délimité la période que couvre ton livre de cette façon-là, ce qu'il y a eu avant 75 et après 82 ne t'intéresse-t-il plus ?
Pas du tout ! Bien au contraire, j'espère suivre, en toute modestie, le modèle de John Peel, c'était un type formidable : il s'enthousiasmait encore à 60 ans pour des jeunes groupes inconnus, il laissait parler son cœur et n'avait pas de nostalgie. Pour moi c'est pareil, j'essaye, chaque fois que j'écoute un truc nouveau, d'oublier ce qu'il y a eu avant, même pour les groupes qui ont fait quinze albums. J'essaye d'avoir un regard neuf à chaque fois. Bien sûr, ce n'est pas toujours facile, j'ai un peu de nostalgie, on n'oublie jamais les musiques qui ont bercé son adolescence. J'adore ce qui sort aujourd'hui, même si bien sûr, c'est assez proche de la musique des groupes dont je parle dans "Génération Extrême". Et même si je reste dans un créneau rock, alternatif ou moins alternatif, que je n'écoute pas de jazz ni de classique, à l'intérieur de ce créneau j'apprécie tout autant les Chemical Brothers, Asian Dub Foundation, les Doors, les Stooges, tous les groupes dont je parle dans mon livre, que des nouveaux groupes comme Clor ou Art Brut. Pour ne mentionner que ceux qui me viennent à l'esprit et que j'ai écoutés ces derniers jours.

Quel est pour toi le groupe le plus important de toute cette époque ?
Il n'y en a pas qu'un, et puis je ne te répondrais pas la même chose demain ou dans trois mois. Bon, évidemment, il y a quelques références. Ça serait stupide de ne pas dire les Sex Pistols alors je le dis... Mais plus socialement que musicalement. Pour la période punk, j'ai un faible pour les Buzzcocks et Wire, pour l'après-punk Joy Division, Siouxsie et Cure. Mais c'est d'une banalité de dire ça !

Et le disque ?
De façon pas du tout objective, je vais juste te parler des disques que j'ai usés et vénérés : "Seventeen Seconds" et "Closer".

Aujourd'hui quels groupes te semblent écrire l'histoire à leur tour ?
Je ne comprends pas bien ta question. Tous les groupes écrivent en même temps l'histoire. Si tu veux parler de ceux qui resteront comme des chefs de file, ou les symboles d'une époque, c'est difficile à dire, pour les mêmes raisons que j'évoquais plus haut : on ne juge bien qu'après coup. Et puis sur quels critères juger ? Peut-être Radio 4, qui en est déjà à trois albums. Interpol qui semble bien parti aussi pour laisser des traces dans les mémoires. Sinon il y a toute la scène électro, il y a des trucs formidables comme Fischerspooner, Chicks On Speed, LCD Soundsystem, Ladytron... c'est plus difficile à dire.

Quelle est ton intention avec ce livre ?
Gagner des millions et avoir toutes les femmes à mes pieds. Non, je plaisante ! Je me fous de gagner une thune avec, d'ailleurs à l'origine je l'avais mis en téléchargement sur Internet. Ce que je voudrais, c'est donner des clés à toute une génération qui n'a pas connu ça, lui donner envie d'écouter tous ces groupes, comme moi j'ai découvert après coup les influences des groupes que j'aimais, ça aide à mieux comprendre, que ce soit une époque ou une musique, et donc à mieux l'apprécier, et de faire le tri dans tout ce qui sort aujourd'hui. C'est aussi une façon de rendre hommage à cette époque qui était très excitante. Et ça me ferait plaisir que les vieux cons comme moi se disent en le lisant "Ah oui ça, j'avais oublié, c'était vachement bien, ça me donne envie de réécouter".

Comment positionnes-tu ce livre par rapport à "Carnets Noirs" ?
Mon bouquin est né avant "Carnets Noirs", longtemps avant, mais je n'avais pas vraiment cherché à le faire publier. J'aurais dû collaborer à "Carnet Noirs" pour la première partie, mais ça ne s'est pas fait. Le problème c'est que j'avais prêté mes écrits et qu'ils s'en sont inspirés quand même, sans me le dire. Bon, c'est plutôt flatteur, non ? Et puis ils m'ont remercié dans leur livre, alors que mon seul contact avec eux a été une conversation téléphonique. Donc peut-être que "Carnets Noirs" m'a encouragé à faire publier, inconsciemment, "Génération Extrême", qui sait ? Mais de toute façon je crois qu'on ne peut pas comparer les deux, "Carnets Noirs" s'attache à une seule scène, le mouvement gothique, moi je parle d'une époque : dans "Génération Extrême" il y a un chapitre sur le ska, un autre sur le hardcore... Et si tu veux mon avis personnel : je préfère largement mon bouquin au leur (rires).

Dans la préface de ton livre, tu dis "Le propos de ce livre, plutôt que de présenter des artistes par ordre alphabétique, classés par genre, est d'abord de raconter une histoire". Tu mets ça en réaction à "Carnets Noirs" ?
Non. Je pensais plutôt au "Dictionnaire du Rock" de Michka Assayas, à d'autres livres en anglais, à ce qu'on trouve sur Internet comme le "All Music Guide", etc. J'avais envie de raconter une histoire qui se lise du début à la fin, pour qu'il se dégage quelque chose, essayer de capturer le feeling d'une époque, donner envie d'aller plus loin, de découvrir ou redécouvrir tous ces groupes. Un dictionnaire ce sont des mini-bios sans lien les unes avec les autres, c'est purement informatif, on s'y réfère par besoin, pas par plaisir, ou alors, si, quand on est aux toilettes, on prend une page au hasard. Mais ce n'est pas péjoratif, c'est très bien un dictionnaire, ceux que je cite le sont en tout cas, mais ça n'a pas la même fonction.

Pourquoi avoir choisi de mettre Siouxsie en couverture, elle est emblématique de cette période ?
En fait nous n'avons pas débattu très longtemps, c'est vrai que Siouxsie représente à merveille les deux époques que j'évoque : le punk et ce que j'ai appelé "les années noires".

Toutes les photos du livre, et il y en a énormément, ont d'ailleurs été réalisées par Philippe Carly...
C'est moi qui ai branché Camion Blanc avec Philippe Carly. Ses photos sont géniales, je trouve, il a suivi tous les groupes à l'époque, il a des milliers de photos de Siouxsie, c'est à lui que l'on doit toutes les photos les plus connues de Joy Division en concert, bref c'est un photographe formidable. Un seul regret : j'en aurais bien mis trois fois plus, mais là c'est l'éditeur que ça regarde !