Home Video
No Certain Night or Morning
[Warp]
La première apparition de Home Video date de 2004, avec la sortie des EP "Citizen" et "That You Might". Une voix en apparence monocorde, que l'on sentait fragile, tout en retenue, une basse bien ronde aux doux relents new wave, et surtout une base électronique à la construction minutieuse. L'ambiance soignée de l'ensemble, presque évanescente, s'imprégnait de compositions cotonneuses au détour desquelles on croisait les fantômes de New Order, The Cure, Pale Saints, Radiohead ou encore Boards of Canada. La présence de cet OVNI sur le label Warp ajoutait à l'étrangeté de cette production. L'attente aura été longue et l'on craignait que le duo, Collin Ruffino et David Gross, originaire de la Nouvelle-Orléans, mais installé à Brooklyn, ne donne de suite à ses somptueux débuts. "No Certain Night or Morning" est à la hauteur des espoirs qu'on lui portait. Les multiples ingrédients recensés plus haut se sont presque effacés, devenus dorénavant indissociables les uns des autres ; le groupe est parvenu à se construire une personnalité propre, intégrant et digérant ses influences pour offrir un résultat plus mature et plus personnel. Trois morceaux des premiers EP sont repris ici, s'intégrant parfaitement à cet album homogène, plus pop et moins éthéré que l'étaient leurs premiers essais, mais basé tout autant sur la tension et l'émotion. Ce disque une belle réussite, pleine de charme et parfaitement ciselée.
Christophe Labussière


Artesia
Hilvern
[Nové/Prikosnovénie]
Nouvelle subdivision de Prikosnovénie dédiée aux talents émergents, Nové vient d'inaugurer son catalogue avec le tout jeune duo Artesia. Et d'emblée, difficile de ne pas réprimer un sourire devant l'amoncellement de clichés gothiques qui enrobent ce premier essai. Poses désabusées sur fond de paysages sauvages, artwork supra-romantique et, en prime, un logo façon black metal ; la première approche est périlleuse. Mais les deux jeunes femmes à la tête du projet, si elles arborent des attitudes par trop gogothifiantes, semblent malgré tout savoir y faire en matière de dark atmosphérique. Guère originale, mais rondement menée, leur musique remonte le sinueux sentier tracé par Dargaard, Dark Sanctuary et surtout Arcana première période, traversant sous-bois et clairières aux rythmes des légendes bretonnes. Car Brocéliande, où les deux belles résident, enveloppe ce "Hilvern" de sa beauté brumeuse et de son esthétisme idéal. Nous sommes en terrain connu, certes, mais contre toute attente, la formule opère, ce qui permet de souligner le talent d'Artesia dans la mise en perspective de cette Bretagne mystérieuse où s'entrecroisent furtivement mythes ancestraux, entités païennes et légendes arthuriennes. Un travail soigné, un peu trop scolaire sans doute, mais qui ne demande qu'à mûrir au gré de réalisations futures que l'on espère un peu plus audacieuses.
Stéphane Leguay


Delerium
Nuages du Monde
[Nettwerk]
En juin dernier, alors en pleine promotion pour Front Line Assembly, Bill Leeb nous laissait entendre que "Nuages du Monde", dont il venait juste de finir le mixage, serait bien moins poppy que "Poem" et "Chimera", les albums précédents de Delerium. Nous espérions tellement qu'il dise vrai que nous avions rêvé de ce retour aux sources et d'une suite aux perles que sont "Stone Tower" et le double "Spheres". Et quelle déception ! Cette cuvée Delerium 2006 n'est ni plus ni moins qu'un nouveau LP destiné à faire totalement oublier ce qu'était le projet en premier lieu, avec ses ambiances plombées nées d'une musique à la fois rituelle et ambient, et qui prenait le contre-pied de l'ésotérisme qui accompagne en général cette musique souvent peu inspirée. La paire Leeb/Fulber accouche aujourd'hui d'un album calibré pour les radios FM canadiennes et dont on ne retiendra pas grand-chose, si ce n'est que Delerium devient une pâle copie du projet Conjure One de Rhys Fulber, que l'on reconsidère d'un seul coup bien plus inspiré. Et s'il s'agissait d'une manœuvre du Canadien pour apporter un crédit finalement mérité à son projet solo ? Indoctrination reprend d'ailleurs des éléments de Conjure One, mais franchement, pourquoi faire aujourd'hui coexister deux projets si semblables, qui se copient l'un l'autre ? L'instrumental Tectonic Shift laissera respirer les fans de la première heure un peu écœurés par ces vocalises mielleuses, mais le cœur n'y est plus, surtout depuis qu'un certain Alan Wilder a mis tout le monde d'accord avec son Red River Cargo sur le 'Unsound Method" de Recoil en 1997.
Bertrand Hamonou


Joseph Arthur
Nuclear Daydream
[Lonely Astronaut]
Le nouvel album de Joseph Arthur (son cinquième), sort sur un obscur label américain, ce qui explique en partie sa disponibilité exclusive en import ; un comble pour cet artiste tout d'abord découvert en Europe grâce à un premier disque paru sur le label de Peter Gabriel en 1996. Après tout, Joseph est peut-être enfin devenu prophète en son pays après avoir soutenu publiquement John Kerry lors des dernières élections pour la présidence des USA. Quoi qu'il en soit, "Nuclear Daydream" n'offre aucun single évident et immédiat, comme nous en avions pris l'habitude sur ses disques précédents. À label obscur, production minimale : c'est du moins ce que l'on est tenté de croire tant la plupart des titres de "Nuclear Daydream" pourraient avoir été enregistrés live en une seule prise, en solo ou avec des amis musiciens. La simplicité est cette fois de mise pour un album court tout en acoustique, en quelque sorte le négatif du précédent. Et une fois n'est pas coutume, le chanteur n'a réalisé qu'un seul dessin à l'intérieur du digipack : rien d'étonnant à cela puisque Joseph a sorti cet été un livre somptueux qui a accaparé toutes ses visions, dont il nous offrait quelques résidus sur chacun de ses disques précédents. Un choix cependant regrettable, car la photo vulgaire sélectionnée pour la pochette aurait plutôt eu sa place sur un bootleg. Qu'importe, l'album renferme quelques perles de song-writing comme Nuclear Daydream qui est un exemple de douceur et de mélancolie, ou Black Lexus, magnifique ode à la malchance ou la malédiction. Qui pouvait le faire mieux que Joseph Arthur ?
Bertrand Hamonou


Kid Congo Powers
Solo Cholo
[Trans Solar/La Baleine]
Lorsque l'on sait que Kid Congo Powers a fait partie du Gun Club, des Bad Seeds et des Cramps (entre autres), on imagine bien que ce disque ne verse pas dans l'électro dark ! L'impressionnante liste des artistes présents sur "Solo Cholo" confirme d"ailleurs cette impression, puisque l'on y retrouve notamment Barry Adamson, Lydia Lunch, Knoxville Girls, Die Haut ou Jim Thirlwell (Foetus), mais également Robin Guthrie (Cocteau Twins) ou l'excentrique artiste électro allemand Khan. En fait de véritable album solo, il s'agit là en réalité d'une compilation des diverses collaborations de Kid Congo avec les artistes précédemment cités, couvrant une période de vingt ans. Forcément diversifié, cet album n'en reste pas moins cohérent, explorant toute les facettes du style rock bluesy sale, marécageux et rétro cher à ceux qui évoluent dans la sphère de Nick Cave ou Lydia Lunch. On y trouve aussi des morceaux plus orientés post-punk, électro rock ou industriel, comme le convulsif Parts Unknown avec Lydia Lunch et Die Haut, ou le lancinant et ténébreux Plunder the Tombs, enregistré avec Fur Bible, combo londonien de 1985 dans lequel officiaient également Patricia Morrison (ex-Gun Club et Sisters of Mercy) et Murray Mitchell (ex Siouxsie & the Banshees). Au final, un disque foncièrement intéressant et attachant.
Christophe Lorentz


Seabound
Double-Crosser
[Dependent]
Un délice glacé. Il aura fallu plus de deux ans à Seabound, duo allemand surdoué, remarqué sur la scène electro comme le digne cousin des VNV Nation et autres Covenant, pour accoucher de cette merveille réfrigérante. Mais cela valait la peine d'attendre tant ce nouvel album est remarquable, à tous points de vue. Car tout en gardant la marque de fabrique du groupe depuis ses origines (un son très clean, une voix masculine personnelle et variée, des paroles qui ont du sens), Seabound s'affirme avec des mélodies certes souvent plus lentes et progressives que par le passé, mais d'une rare beauté et d'un futurisme achevé. Le pouvoir évocateur de certains morceaux (Doubleplusungood, Sapphire, Castaway par exemple) et de leurs refrains oniriques nous entraîne dans un voyage fictionnel, minimal, minéral presque. Plusieurs titres, très atmosphériques et empreints d'une subtile mélancolie, auraient d'ailleurs pu prendre place sur une bande-son modernisée de "Blade Runner". Blanc, pur, aussi rassurant que terrifiant. On trouve aussi sur cet album une nouvelle version allégée du hit Scorch the Ground et les futurs succès The Promise (sans doute l'un des meilleurs titres du groupe à ce jour) et Domination, le plus "club" de tous ces nouveaux morceaux. À noter que l'édition limitée de "Double-Crosser" comporte aussi des remixes de The Promise, Scorch the Ground et Poisonous Friend, sans oublier un morceau de Tankt, agrémenté de paroles et chants réalisés par Seabound. Assurément l'un des meilleurs albums electro, des plus innovants, de cette fin d'année. Indispensable.
Stéphane Colombet
Express
Si vous confondez Halfstrike avec le nom d'un jeu vidéo légendaire, vous n'y êtes pas, puisqu'il s'agit ici du pseudonyme d'une jeune chanteuse/ auteur/ compositrice qui a un jour croisé le chemin de Laurent Garnier. Exit la guitare sèche des premières démos, le temps est au tout électronique, minimal de préférence. C'est ainsi que la Française enregistre son premier album "After Deep Rest" (en anglais) qu'elle publie sur le label d'un ami, Volume Intégral. Au total, quinze titres courts bricolés sur un ordinateur, en toute simplicité, tout au long desquels les amateurs retrouveront un univers proche de celui de Björk, en plus rudimentaire et drôlement charmant.
Après avoir mis un terme à leur collaboration avec le label 456Entertainement, les Américains de VAST ne comptent désormais plus que sur eux-mêmes et proposent une nouvelle série de downloads sur le site de 2Blossoms. Parmi une collection d'anthologies destinées au fans comme au néophyte, le groupe propose des versions alternatives des compositions qui deviendront "April", le futur album studio qui devrait sortir l'an prochain. Plus proches de la démo que de la version définitive, les chansons ne nous donnent que peu d'indications quant à la tournure qu'elles prendront dans les prochains mois tant Jon Crosby nous a habitués par le passé à des arrangements aussi habiles que somptueux. Patience, donc.
Dream Metaphor est né par hasard, alors que le musicien portugais qui se cache derrière le pseudonyme Replycant travaillait sur des compositions destinées à un autre projet (Ezylohm_Tek) que l'on devine dans une registre différent. Le hasard fait donc bien les choses, car il est difficile de ne pas tomber immédiatement sous le charme des cinq titres qui forment le EP "Contact". Mélancoliques, électroniques et odieusement simples, ces compositions instrumentales courtes et cinématographiques ont un petit air de Moby avant l'étape de (super) post-production. Un EP de remixes est déjà prévu, et quatre titres sont à découvrir ici.
Delicate Noise nous arrive de Chicago et du label Lens Records. Il s'agit du projet d'un seul homme, Mark Andrushko, nouveau venu sur la scène musicale électronique et dont le passé se situe dans le cinéma indépendant de Los Angeles. Attiré lui aussi par la musique électronique minimale, l'homme réalise seul son premier essai, "Diversion", disque atmosphérique et sombre. Savant mélange d'instrumentaux et de compositions chantées, les titres de cet album témoignent de l'univers du musicien (Artificial Light, Visual Silence ou encore Focal Point) et sonnent comme des génériques de films imaginaires sur lesquels Mark a peut-être bien travaillé auparavant.
Bertrand Hamonou
Express
Du nouveau (encore et toujours) chez Prikosnovénie. Sorti il y a maintenant quelque mois, le second album du duo anglo-slovène Pinknruby "Garden" confirme les signes prometteurs largement annoncés sur l'initial "The Vast Astonishment". Une musique aérienne, tirant aussi bien de l'heavenly voices que de différents folklores, qu'ils soient slaves ou même brésiliens. Puisant son identité dans la guitare acoustique de Paul Bradbury et dans le chant très caractéristique de Mihaela Repina, la musique de Pinknruby s'étend, reposante et doucereuse, même si elle s'octroie ça et là quelques incartades plus rythmées comme le swinguant Shadume et son violon, ou Jakdo et sa cadence jazzy. Un bien joli trip à la production aussi discrète qu'intimiste.
Plus à l'est, les Russes de Caprice sortent eux aussi sur le label Prikosnovénie leur nouvel album. Sixième du nom, "Tales of the Uninvited" est également le troisième et dernier volet de la trilogie "Elvenmusic", largement inspiré des écrits de J.R.R. Tolkien. Entièrement chantée en elfique (en "Laoris"), la musique de la troupe (neuf membres), si elle se fait certes, le véhicule d'une imagerie toute "féerique" propre à nous plonger vers les Terres du Milieu, évite cependant les clichés inhérents au genre. Loin des bombardes ou des vielles à bras auxquelles on pourrait s'attendre, le style de Caprice reste fidèle aux composants qui lui sont propres : Violon, violoncelle, basson, flûte, harpe et vocalises classiques, l'ensemble tire forcément sur le baroque et frôle parfois le pompeux, mais parvient néanmoins à peindre avec dextérité la toile de fond de récits imaginaires aux échos lointains.
La formation de San Francisco Neither/Neither World peut se targuer d'être présente sur la scène néo-folk depuis plus de 15 ans. Conduit une nouvelle fois par la poigne de fer de sa chanteuse/guitariste Wendy Van Dusen, le nouvel album "Invisible Angel" (Shayo Music) ne déroutera pas les fans. Serpentant quelques part entre les sombres fantômes de Sol Invictus/Death In June et les ondoiements graciles de Rose McDowall (période Sorrow), les sept nouvelles compositions étendent leurs courbes épurées, tantôt dans un registre lumineux, presque poppy (Promise), tantôt dans des accents plus électriques (Buried and Gone) et bien entendu dans de douloureuses ballades pluvieuses (Shadow of the Wings). Beau et profond, varié sans être hétérogène, Neither/Neither World prouve une nouvelle fois sa capacité à écrire de vraies mélodies tout en gardant le petit côté sombre et mélancolique des ses années passées chez le label World Serpent. Un régal.
Quelques mois après l'arrivée en Europe de son cinquième album "Last Light", le peintre et musicien américain Tor Lundvall nous propose (déjà) son nouvel opus. Et s'il est cette fois totalement instrumental, "Empty City" (Strange Fortune) conserve cet aspect ambient et cotonneux à base de sons aquatiques et enveloppants qui caractérisent l'oeuvre musicale de l'artiste. Comme enregistrées dans quelque liquide amniotique protecteur, ces douze nouvelles pièces dans la discographie de Lundvall résonnent de pulsations ralenties, de nappes océanes et de bruissements feutrés au point de se sentir rapidement immergé dans un monde de mouvements engourdis et de sensations murmurées. Une belle oeuvre, forcément reposante et relaxante même si l'atmosphère globale de cet album semble reposer sur des profondeurs que l'on devine abyssales. Beau et fascinant.
Stéphane Leguay